Agusti Centelles
Petite exposition que je dois aller voir cette fin de semaine à Paris :
Agusti Centelles au musée du jeu de paume (hôtel de Sully).
Petit journal #55 : Agustí Centelles
Journal d’une guerre et d’un exil, Espagne-France, 1936-1939
Agusti Centelles |
Avec l’exposition "Agustí Centelles : journal d’une guerre et d’un exil, Espagne-France, 1936-1939", le Jeu de Paume présente pour la première fois en France un ensemble de documents qui sont exceptionnels à plusieurs titres. La vie du photojournaliste catalan Agustí Centelles (1909-1985) a été, comme celle de milliers de ses compatriotes, bouleversée par la guerre civile et éprouvée par la longue dictature de Franco. Aussi l’oeuvre du photographe, déjà reconnue avant-guerre, tient à la fois du récit intime et du témoignage historique et renvoie aux différentes formes d’archives, personnelles et collectives. Par ailleurs, cette exposition nous offre un regard "de l’intérieur" sur des événements dont l’iconographie la plus connue était jusqu’alors celle de photographes étrangers sympathisants de la cause républicaine, tel le célèbre Américain d’origine hongroise, Robert Capa.
Ces documents, témoignant d’un conflit majeur du XXe siècle, sont paradoxalement une découverte récente, la plupart des images d’Agustí Centelles n’ayant fait l’objet d’un premier tirage que longtemps après leur prise de vue. Son double exil – d’abord vers la France et le camp de réfugiés de Bram en 1939, puis clandestinement vers l’Espagne pour échapper à la Gestapo en 1944 – a contraint Centelles à cacher la totalité de sa production. La longévité du régime franquiste a, par la suite, empêché les "vaincus" de témoigner à visage découvert de peur de compromettre les opposants au dictateur. En 1976, après la mort de Franco, Centelles est revenu à Carcassonne pour exhumer le fonds exceptionnel qu’il avait abandonné derrière lui trente-deux ans auparavant. Ses fils ont créé depuis les "Archives Centelles" dans le but de conserver ce patrimoine.
Les salles de l’Hôtel de Sully accueillent une centaine de tirages, accrochés chronologiquement : des images de la guerre civile espagnole, pour certaines inédites, puis du camp de Bram, qui n’ont quant à elles jamais été montrées. S’ajoutent à ces photographies trois diaporamas thématiques, des documents de presse et le journal tenu par Agustí Centelles en exil – dont des extraits sont reproduits dans la publication accompagnant l’exposition.
La guerre civile espagnole, 1936-1938
Agustí Centelles |
Le conflit intérieur espagnol est déclenché par le putsch militaire de
juillet 1936 contre le Front populaire, peu après la victoire de
celui-ci aux élections de février. À Barcelone, les combats débutent le
19 juillet. Ce jour-là, Agustí Centelles est le seul photographe à
pouvoir s’aventurer
dans le centre-ville. Il est en effet l’un des pionniers du Leica dans
son pays : l’usage de cet appareil photographique, encore nouveau à
l’époque, lui offre une mobilité qui lui permet de pénétrer au cœur du
feu croisé entre les troupes insurgées et les républicains. La
Catalogne, et Barcelone en particulier, joue un rôle de premier plan
dans la défense de la République, grâce à une importante mobilisation
anarchiste et un vaste mouvement ouvrier. Le gouvernement autonome, le
ralliement de la garde civile et la création de milices populaires
auxquelles – fait nouveau – participent des femmes en font un haut lieu
de résistance. Les anarchistes lancent une révolution sociale fondée
sur le collectivisme et l’enthousiasme militant libertaire transparaît
dans les scènes de rues, de défilés, de cérémonies et d’ecclésiastiques
en fuite, immortalisées par Centelles.
D’abord reporter de guerre pour la presse, le photojournaliste est
mobilisé en 1937 dans l’Unité des services photographiques de l’armée
de l’Est. Il travaillera ensuite à la propagande de guerre
républicaine. Il enregistre à ce titre les bombardements de civils,
sans précédent dans des villes comme Barcelone et Lleida, et l’exode
massif des populations vers la France, avant d’y prendre part lui-même
début 1939.
Deux diaporamas complètent cet ensemble d’images : l’un montre les
photographies réalisées sur le front d’Aragon, où Centelles rend compte
des combats comme de la vie quotidienne des miliciens, majoritairement
anarchistes. On se souvient que la France, alors dirigée par Léon Blum
et le Front populaire, et la Grande-Bretagne avaient choisi de ne pas
s’impliquer dans la défense active de la République espagnole, tandis
que Franco avait reçu le soutien immédiat des régimes allemand et
italien. De son côté, la République bénéficie de l’aide de milliers de
volontaires antifascistes, avec, parmi eux, des écrivains tels George
Orwell ou André Malraux, pour la plupart ralliés aux Brigades
internationales. Le second diaporama concerne un autre conflit : les
luttes intestines entre les différentes factions de gauche en présence
à Barcelone. L’élimination du POUM, parti marxiste antistalinien, en
mai 1937, signale le tournant vers une hégémonie communiste dans la
direction du front républicain.
Le camp de réfugiés de Bram (Aude), 1939
Agustí Centelles |
La seconde partie de l’exposition, qu’enrichit également un diaporama,
documente la période d’exil de Centelles au sein du camp de réfugiés de
Bram. Alors que les troupes de Franco gagnent du terrain, des milliers
d’Espagnols franchissent la frontière française dès 1939. Centelles
emporte dans sa fuite une valise de négatifs, mais laisse sa femme et
son fils derrière lui. C’est à ce dernier qu’il dédie son journal de
bord dont la rédaction, entreprise en janvier 1939 à Barcelone, se
poursuit après son transfert au camp de Bram – "camp modèle" selon les
autorités françaises –, situé dans le Sud-Ouest de la France. Il y
décrit la réalité très dure, partagée par ses compagnons d’infortune,
de ce lieu que l’on qualifie aujourd’hui de camp de réfugiés, mais qui
ressemblait davantage à un camp de détention. Les réfugiés y subsistent
dans des conditions matérielles extrêmement précaires et un climat
idéologique très répressif. Au sein de cette « prison », pour reprendre
ses termes, Centelles trouve cependant l’énergie de tenir son journal
puis de créer un petit laboratoire de photographie dans sa baraque, où
il développe de manière
quasi miraculeuse des portraits et des scènes de la vie du camp. En
septembre 1939, Centelles obtient la permission de travailler pour un
photographe commercial de Carcassonne, ce qui lui permet de quitter le
camp. Figure active au sein de la résistance, comme de nombreux
réfugiés espagnols, il monte un laboratoire clandestin dans
l’arrière-boutique de son employeur pour réaliser de faux papiers. Le
démantèlement du réseau par la Gestapo le contraint à regagner son pays
en 1944, après avoir confié l’intégralité de ses archives à la famille
Dejeilh, qui l’hébergeait alors.
Centelles se cache provisoirement dans la ville catalane de Reus où il
travaille comme boulanger, avant de retrouver sa famille à Barcelone.
Privé de sa licence de journaliste par le gouvernement franquiste, il
commence alors une carrière discrète de photographe industriel et
publicitaire, et fonde une agence qui existe encore à l’heure actuelle.
Il ne reviendra à son activité première qu’en développant, après la
mort de Franco, certains des nombreux négatifs retrouvés. Ces émouvants
témoins des mutilations de l’Histoire voient finalement le jour après
de longues décennies d’oubli.
Article sur l'exposition trouvé sur : www.jeudepaume.org.